Bivouac 2 : Gros Mont - Hochmatt
1418m 
14 janvier 2022

S'adapter

La lune pour compagne.

Vendredi, je suis à la bourre. Je cours, tente de finir mon travail, tente de préparer mes affaires. Kali me tourne autour, elle m’énerve. Impatiente, elle croit que nous partons. Étourdi, j’oublie chaque fois quelque chose. Nos actions s’entrechoquent, nos corps également. Je l’envoie à sa place, me concentre et respire. Ne pas s’énerver parce que je vais partir dans la nature. Plutôt se réjouir de cet instant en communion avec l’élément. Si je pars trente minutes plus tard, mon lieu de bivouac m’attendra, j’en suis certain. Là, depuis des milliers d’années, il sera là jusqu’à demain. Petit à petit, je reprends ma préparation et, finalement, nous nous sommes.

Dans la voiture, l’ambiance change. La vie quotidienne est derrière. J’entre dans cet espace magique de simplification, de retour à l’essentiel. La vie reprend forme. La simplicité d’une nuit à l’extérieur me réjouit. Après une heure de route, j’arrive à Im Fang, manque le croisement, fais demi-tour et attrape la bonne route. Il est presque 16 heures, la vallée est à l’ombre, mais je devrais pouvoir profiter d’un peu de soleil sur le plateau où je prévois de bivouaquer. La route est enneigée, mais sans difficulté. De virage en virage, j’anticipe une voiture venant en face. Je jette un coup d’œil furtif à ma carte. Je progresse vers le parking. Vingt minutes plus tard, la route s’arrête, ou plutôt, elle est fermée pour l’hiver, bien avant l’endroit que j’avais prévu.

Je m’arrête donc là, je m’adapte. J’ouvre à Kali. Pour elle, cela ne fait aucune différence. Elle se lance dans la neige, renifle, court et se retourne. Je me prépare pour partir, je me change. Il va faire froid. Dernière touche, je mets mon sac à dos sur le dos et je pars. Des traces de ski au sol, il suffit de les suivre. J’avance avec entrain pendant vingt minutes. Le chemin tourne à droite. Étonné, je consulte la carte. Comme bien souvent face à quelque chose qui ne correspond pas, je biaise la réalité. Les traces suivent le chemin, alors je tourne et poursuis. Je ne vais pas dans la bonne direction, mais je me dis que le chemin tournera un peu plus haut.

Soudain, les traces que je suis depuis maintenant trente minutes font elles-mêmes demi-tour. Conscient de son erreur, le randonneur précédent a fait demi-tour. Moi, sans vouloir croire à ma carte, l’ai suivi. Je paie le même prix, je fais demi-tour et finalement redescends à la voiture. En descendant, je me dis que bien souvent, face à la réalité, nous préférons la modeler plutôt que de l’accepter. Nous préférons la voir comme nous aimerions qu’elle soit plutôt que comme elle est en… réalité. J’en souris.

Le soleil ne m’attendra pas, je l’aurai manqué ce soir. À la voiture, je constate que le bon chemin n’était qu’à quelques pas en arrière. Je repars. Je suis dans la nature, je marche tranquillement, tout va bien. La neige est plus profonde. Je mets mes raquettes et je marche. L’ombre se fait plus insistante et la pente plus forte. J’avais prévu me parquer non loin de mon bivouac. Finalement, je marcherai un peu plus de trois heures pour y arriver. La dernière heure se fait dans le noir. J’aime marcher dans l’obscurité.

J’aime ce huis clos avec la nature. Petit à petit, une bulle se forme et m’entoure. Le silence laisse place aux bruits de la nuit. La neige sous mes pas rythme mon approche. Kali est derrière moi par moments, prend de l’avance le plus souvent. Toujours, elle se retourne, elle m’attend, patiente. Elle a l’air de s’interroger, de se demander pourquoi je vais si lentement, si tout va bien. Je la rassure, elle repart.

Une lumière émerge, un dernier virage et je sors de la forêt. Je suis sur le plateau, mon objectif. La lune éclaire la plaine, personne, le silence. Les reflets sur la neige créent une atmosphère mystique. Je décide de monter encore un peu afin de m’approcher des flans de la Hochmatt. J’aimerais pouvoir avoir une vision de ce plateau depuis une certaine hauteur. Mon but désormais est de dormir en face de la Dent de Brenleire. Un peu plus haut, une étable, fermée pour l’hiver, me semble un bon endroit pour m’arrêter. Je pourrai m’abriter du vent et trouver un terrain plutôt plat.

Première chose à faire, mettre ma doudoune. Si durant la montée, un pull suffit, dès que je m’arrête, il faut que je m’habille. Garder la chaleur accumulée est essentiel. Ensuite, je monte la tente, prépare mon matelas, sors mon sac de couchage pour qu’il ait le temps de se gonfler. Après, je prépare les matelas de Kali et son sac de couchage. Je préfère toujours faire cela immédiatement. Comme ça, je suis prêt. Je peux me poser, aller me promener ou préparer à manger. Mon lit est prêt, mon esprit tranquille. Il est déjà huit heures. Du coup, je prépare mon repas sur mon réchaud à gaz. Kali me tourne autour, elle a faim. Je lui prépare sa gamelle. Je m’assieds, je suis bien. Les étoiles dans le ciel, mon repas qui cuit, Kali qui tourne encore.

Les montagnes découpent l’horizon, les flancs tachetés du noir des arbres et du blanc de la neige. Je sors mon appareil, prépare mon trépied. La vie se ralentit encore. L’essence est là, l’instant présent se vit. La nuit se déroulera sans problème. Mon nouveau sac de couchage remplit parfaitement sa mission. Le matin, je sors de la tente.

Le soleil va se lever. Je constate que le lever de soleil ne sera pas comme anticipé. J’ai mal anticipé la hauteur des montagnes autour de moi. Je prendrai des photos, mais elles n’auront pas la beauté escomptée. Je regarde autour de moi, j’absorbe le paysage. La nature est belle, encore, toujours. Tant pis, j’aurai essayé, je fais quelques clichés. Je verrai bien à mon retour.

Le retour est plus simple, le chemin descend. Je croise un randonneur un peu étonné de me voir descendre si tôt le matin. Nous nous saluons et j’imagine sa journée. Croisée de chemin entre lui qui part pour sa journée et moi, qui en reviens. Deux univers qui se croisent, deux vies qui se saluent. Arrivé à la voiture, je suis heureux. Un deuxième bivouac, une deuxième expérience, j’avance et accumule les émotions.

Aujourd’hui, il m’a fallu m’adapter. M’adapter à mon retard, m’adapter à mon erreur, m’adapter au soleil et aux montagnes. Ce bivouac ne s’est pas déroulé comme prévu, mais l’expérience a été belle.

Parfois, il suffit d’accepter les événements et s’adapter pour que la vie nous offre ce qu’elle a de plus beau, l’émerveillement.  

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